Washington, Pinckney et Parish, de Staël, Talleyrand et Barras, de nombreuses personnalités américaines et françaises s’activent pour la libération de Lafayette. Les avis et les démarches individuelles pèsent peu auprès des autrichiens. ce sont les avancées MILITAIRES FRANÇAISES EN EUROPE QUI VONT ÉBRANLER L’OBSTINATION DE L’EMPEREUR. La coalition formée par l’Angleterre, la Prusse et l’Autriche est défaite dans le nord. La progression la plus marquante est celle de l’armée d’Italie menée par Napoléon. Sa proximité avec Vienne, la capitale autrichienne, modifie le rapport de force.
« Vous connaissez les détails de la prison d’Olmutz. Ma mère en partagea les rigeurs. Toute communication avec MM. de Maubourg et de Pusy, qui ne voulurent jamais séparer leur cause de celle de mon père, était interdite. On ne nous permettait pas d’entendre la messe, quoi qu’elle se dît dans une église qui tenait au bâtiment où nous étions renfermées. Nous n’avions aucun rapport avec l’extérieur. Les portes s’ouvraient pour la visite de l’officier, lorsqu’on nous apportait à manger. On nous refusa une femme pour les soins du ménage. On nous demanda en entrant nos bourses, et on sauta sur trois fourchettes d’argent qui étaient dans nos paquets. On a toujours refusé de nous en donner d’autres, et nous avons mangé tout le temps avec nos doigts. Ma mère fit toutes les demandes qui lui parurent convenables à présenter. Elles furent toutes refusées. »
Vie de Madame de Lafayette par Mme de Lasteyrie sa fille, Paris, Léon Techener fils, 1868
« Quant à M. de la Fayette, mis promptement au courant de tout ce qui s’était passé depuis qu’il
avait, en quelque sorte, disparu du monde, il était si peu changé qu’on rajeunissait en l’écoutant.
Il était là ce qu’il fut toute sa vie. Point de rancune, point de haine, ni contre les personnes ni
contre les partis ; mais pas le moindre changement dans ses opinions. Il ne regrettait et ne se
reprochait dans sa conscience politique aucun de ses actes, aucune de ses paroles, aucune de ses
pensées. Ou en était toujours avec lui à la déclaration des droits de l’homme et à l’aurore de la
Révolution... Aussi il était homme à se rembarquer au premier jour, si l’occasion s’en présentait,
sur les quatre planches un peu rajustées du radeau de 1791. Républicain par inclination et par goût,
il avait reconnu loyalement que la France n’était pas en état de se passer d’une royauté ; il
s’était rangé parmi les constitutionnels, était resté fidèle à ce parti, et avait adopté et défendu
de bonne foi la royauté consacrée par cette constitution de 1791. "Vous savez, écrivait-il de
Rochefort le 21 août 1792, vous savez que mon cœur eût été républicain, si ma raison ne m’avait
donné cette nuance de royalisme, et si ma fidélité à mes serments et à la volonté nationale ne
m’avait pas rendu défenseur des droits constitutionnels du roi." »
Auguste Calais, Anne-Pauline-Dominique de Noailles marquise de Montagu, Paris, Dentu, 1869
EN AOÛT 1797 NAPOLÉON EST ENVOYÉ EN AUTRICHE PAR LE DIRECTOIRE POUR NÉGOCIER LA LIBÉRATION DES PRISONNIERS FRANÇAIS. La discussion sur les conditions de la libération est longue. Le pouvoir français en profite pour liquider les biens familiaux du général Lafayette en Bretagne. Proposition est faite que Lafayette vogue directement vers les Etats-Unis, sans passer par la France. Refus immédiat du général. Son ancien aide de camp, Louis Romeuf, trouvera le compromis : une période d’exil. Lafayette, sa femme, ses filles et ses compagnons de captivité quittent Olmütz pour Hambourg le 19 septembre 1797. Le retour en France attendra, les Lafayette se remettent de l’éprouvante expérience des prisons.
APRÈS HAMBOURG, LA FAMILLE EST accueillie le 10 octobre 1797 par Madame de Tessé à Wittmoldt, une presqu’île danoise. Le lieu est favorable à l’apaisement et à la convalescence, particulièrement celle d’Adrienne. Lafayette reprend sa correspondance notamment pour remercier ses soutiens. Les multiples parutions des mémoires des acteurs de la Révolution incite l’exilé à entreprendre l’écriture de ses Souvenirs en sortant de prison, qui ne serviront qu’à une publication posthume.
Le 9 mai 1798, Anastasie, fille du général, épouse Charles de Latour- Maubourg, le frère de César, compagnon de captivité de Lafayette. En août, Adrienne retourne en France pour tenter de rassembler les biens spoliés. N’étant pas radiée de la liste des émigrés, elle voyagera sous le nom de Montgros. C’EST LE MOMENT QUE CHOISIT LAFAYETTE POUR S’INSTALLER À VIANEN, EN HOLLANDE. ENFIN UN TERRITOIRE RÉPUBLICAIN ! Il y fréquente le général Van Ryssel et est visité par Rouget de L’Isle, l’auteur de La Marseillaise. La succession de la duchesse d’Ayen réglée, le château de Lagrange revient à sa fille Adrienne, celui de Fontenay-Trésigny à sa fille Pauline. C’est depuis cette propriété qu’Adrienne, temporairement chez sa sœur, ordonne les premiers travaux à Lagrange, l’aménagement des appartements de chacun et s’active pour accueillir le retour au complet de sa famille.
Reçus des dépenses faites par Adrienne lors de son arrivée à Lagrange en 1798
Photos : Johann Fournier
« Terminer la révolution à l’avantage de l’humanité, influer sur des mesures utiles à mes contemporains et à la postérité, rétablir la doctrine de la liberté, consacrer mes regrets, fermer des blessures, rendre hommage aux martyrs de la bonne liberté, seraient pour moi des jouissances qui dilateraient encore mon cœur ; mais je suis plus dégoûté que jamais ; je le suis invinciblement de prendre racine dans les affaires publiques ; je n’y entrerais que pour un coup de collier, comme on dit, et rien, rien au monde, je vous le jure sur mon honneur, par ma tendresse pour vous, et par les mânes de ceux que nous pleurons, ne me persuadera de renoncer au plan de retraite que je me suis formé et dans lequel nous passerons tranquillement le reste de notre vie... »
Écrit de son lieu d’exil à Adrienne.
Le modeste rêve dévoilé à son épouse se réalise lorsque surgit le 18 brumaire. Sieyès et Napoléon installent le Consulat et proclament des intentions libérales. Lafayette se voit remettre par Romeuf un passeport pour la France. Adrienne l’encourage à rejoindre sa patrie, même si, pour ne pas s’attirer les foudres de Bonaparte qui voit ce retour d’un mauvais œil, Lafayette devra demeurer hors de Paris, dans sa propriété de Lagrange.
Montre de travail que Lafayette a conservée jusqu’à sa mort. Adrienne l’a achetée avant de passer sa première nuit à Lagrange.